Amy (Amy Schumer) est une journaliste talentueuse qui refuse absolument de s'engager amoureusement, et cumule les histoires sans lendemain ; jusqu'au jour où elle doit faire l'interview d'Aaron (Bill Hader), un médecin aux innombrables qualités, qui s'éprend d'Amy. Mais la jeune femme n'est pas certaine de vouloir franchir le pas, et abandonner ainsi son style de vie...
(Attention, léger coup de gueule inside....)
Lorsque Jurassic World est sorti, un peu plus tôt cet année, le web féministe s'est insurgé (comme à son habitude) : comment les scénaristes osaient-ils écrire un personnage féminin de mère de famille, dont la seule utilité dans le récit était de rappeler à sa soeur carriériste que se marier et fonder une famille était la clef du véritable bonheur !? Mais étrangement quand arrive ce Trainwreck, et que le personnage de la soeur de l'héroïne n'a aucune autre utilité dans le récit que de montrer à l'héroïne délurée que le mariage (ou du moins une relation stable et durable) et une vie de famille, c'est la clef du bonheur, personne ne bronche. Pire, le film est applaudi pour être représentatif du féminisme moderne de son interprète principale et scénariste. Alors que bon...
Récapitulons : pour ceux qui ne la connaissent pas, Amy Schumer, c'est un peu une version 2.0 de Sarah Silverman : une comédienne aux sketches crus, qui parle ouvertement de sexe et de tous les sujets réputés tabous aux USA, et qui a décroché un show tv sur le cable américain.
Contrairement à Silverman (plus "enfantine", fantaisiste, musicale et parfois vulgaire), cependant, Schumer est plus acide dans ses commentaires, plus sexuellement débridée et plus engagée ; et toujours contrairement à Silverman, dont le physique conventionnellement attirant (brune, mince, forte poitrine, plutôt jolie) lui avait attiré moults critiques de la part des cercles féministes ("elle n'a du succès que parce qu'elle est bien foutue et qu'elle dit des gros mots"), Schumer est plus... passe-partout : jeune femme blonde un peu ronde, au visage de Cabbage Patch Kid, elle se moque souvent de son propre physique, et, à en croire les multiples portraits d'elle faits aux USA, elle est plus "approchable", et nettement moins "menaçante" pour un public féminin, qui peut s'identifier plus facilement à elle. Il n'en faut pas plus pour que les médias américains n'en fassent leur nouvelle coqueluche, et l'érigent en égérie féministe de la femme moderne imparfaite, qui assume tous ses penchants et ne se laisse pas marcher sur les pieds par les hommes.
Et toujours pour les retardataires, revenons brièvement sur Judd Apatow, passé en une décennie de scénariste tv prometteur à producteur/scénariste/réalisateur de cinéma post-hipster, nombriliste et générateur de hype creuse dans les médias, un homme ultra-sensible à la critique, et surtout qui, sous des atours d'auteur graveleux et pseudo-rebelle (à base d'humour vulgaire et de marijuana), met en avant, dans ses films, une vision très conservatrice de la vie, de l'amour, du mariage et de la société, une vision selon laquelle tout le monde finit plus ou moins par se ranger, et par vivre dans le bonheur de la famille nucléaire et des bonnes valeurs américaines.
C'est ce propos plus ou moins moral qui fait souvent dire aux amateurs d'Apatow que ses comédies sont profondes, ou ont des choses à dire. Et oui, en effet, c'est le cas, elles disent des choses... des choses finalement assez traditionnalistes, dissimulées sous un apparat de vannes graveleuses, de guests-stars connues, et le plus souvent, de scènes superflues qui gonflent artificiellement la durée des films Apatow.
Guère surprenant alors que Trainwreck porte à ce point la marque de ses deux géniteurs ; d'Amy Schumer, on a le postulat de départ qui est peu ou prou celui qu'elle adopte sur scène : une jeune femme délurée, un "trainwreck" qui ne croit pas à l'amour, qui couche, qui boit, et qui fait constamment la fête, en assumant sa vie et ses moeurs ; on a aussi un certain sens du trash, et, malheureusement, des séquences entières qui donnent l'impression d'être des sketches recyclés de l'émission tv de Schumer, et qui laissent penser que l'actrice/scénariste a encore des progrès notables à faire dans le domaine de l'écriture cinématographique.
De Judd Apatow, le film a sa durée interminable, ses guests inutiles (toute la séquence de l'intervention commentée comme un match de sport fait vraiment pitié, et ressemble à un mauvais sketch du SNL... ce qui tombe bien, puisque le film a recours à quatre ou cinq comédiens venant de l'écurie de Lorne Michaels), et donc, son propos global, qui donne l'impression d'avoir des choses à dire sur l'engagement, le couple, l'amour, etc, mais en fait se cantonne à prendre le "ne me jugez pas, connards" du début du film, pour le vider de toute sa substance, puisque pour être heureuse en amour, Amy finit par changer totalement, et par abandonner tout ce qu'elle était au début du film.
Le plus génant, à vrai dire, c'est qu'on se retrouve au final avec une comédie romantique générique et balisée au possible, digne d'un téléfilm Hallmark ou Lifetime (à une ou deux blagues trashy près), mais en plus long et mal rythmé ; elle n'a en fait pour seule originalité que de prendre le postulat de départ de bon nombre de rom-coms - l'homme immature, refusant de s'engager amoureusement, et qui se consacre à son job ; la femme romantique qui va lui faire voir la lumière et le faire changer - en inversant le sexe des personnages.
Ce qui, sans surprise, s'avère insuffisant pour rendre le métrage intéressant, d'autant que ni Schumer (à la fois trop caricaturale pour être attachante, et pas assez pour rendre le film vraiment corrosif et satirique) ni Bill Hader (qui est particulièrement quelconque dans son rôle) ne sont des protagonistes sympathiques, et forment donc un couple qui peine à captiver, noyé dans d'innombrables diversions et scènes qui ne fonctionnent pas.
Cette comédie romantique est donc blindée de clichés, et beaucoup trop sage et prudente pour rester dans les mémoires. Mais pas de panique ! Tout comme Apatow et Schumer, souvent qualifiés de génies et de plumes révolutionnaires dans leurs domaines respectifs, ce film fait l'unanimité outre-atlantique : c'est un chef d'oeuvre, c'est réaliste, c'est crédible, c'est génial !
Ou pas.
1.75/6