Adaptation en 10 épisodes (+ 1 épisode bonus partiellement animé, d'ailleurs probablement le meilleur et le plus homogène de la série) des comic-books de Neil Gaiman, The Sandman se veut un portage à l'écran fidèle à l'œuvre originale, puisque chapeauté par Gaiman lui-même, par David Goyer (aïe), par un producteur/scénariste de Grey's Anatomy et du premier Wonder Woman (re-aïe) et écrite par un paquet de scénaristes pour la plupart inexpérimentés (ou provenant de Grey's ou de The Catch, aïe aïe aïe).
Ce qui explique probablement pourquoi, malgré une direction artistique très travaillée, le produit fini est aussi mitigé...
Sandman, saison 1 (The Sandman, season 1 - 2022) :
Maître du monde des rêves, Morpheus (Tom Sturridge) tombe dans le piège d'un sorcier humain (Charles Dance) et passe ainsi plus d'un siècle en captivité. À son évasion, il retrouve un monde des rêves en ruines, laissé à l'abandon, ses nombreux habitants éparpillés, et il apprend que les outils de sa fonction lui ont été dérobés : il part alors à leur recherche, emprunt d'une colère et d'une misanthropie toujours plus présentes...
Produite au terme d'un development hell conséquent, qui a vu le projet passer du grand écran au petit écran, la saison 1 de The Sandman a été globalement assez bien reçue par les critiques américaines... mais je dois avouer que j'ai été franchement déçu par le tout.
En réalité, il est compliqué de vraiment exprimer ce qui ne fonctionne pas dans l'approche de la série... c'est un ressenti partiellement subjectif, une impression d'adaptation mécanique limitée par le budget et par le talent des personnes impliquées (Gaiman n'a pas écrit un scénario de sa série en solo), et qui trop souvent, se contente de recopier fidèlement la version papier avec raideur et distance... sans parvenir à en retranscrire l'essence onirique si particulière.
En même temps, était-il seulement possible d'adapter l'œuvre originale à un format télévisuel, qui plus est sur Netflix, et en coupant tous ses liens avec l'univers DC comics, sans la dénaturer fortement ?
Et je ne parle pas là du cahier des charges Netflix en matière de représentativité ethnique et sexuelle, une représentativité partiellement héritée du comic-book (et de Gaiman, dont le mot d'ordre pendant le casting, était, de son propre aveu, "est-ce que le fait que le personnage soit blanc et/ou un homme dans la bd est important ? Non ? Alors on change."), mais poussée ici dans ses retranchements de manière très mécanique (c'est bien simple, à part le Sandman et Fiddler's Green, tous les personnages présents sur l'affiche ci-dessus ont été gender-swapped, race-swapped, et/ou sont LGBTQ+) et dont l'épisode 11 semble se moquer un peu (au travers du personnage de Madoc, pseudo-féministe, qui exige de manière pétulante que l'adaptation de son roman soit produite avec 50 % de femmes et de personnes de couleur devant et derrière la caméra - ce qui est peu ou prou le modus operandi Netflix, sous couvert d'égalité des chances).
Certes, ce cahier des charges est balourd au possible, et l'on se retrouve, de manière assez récurrente, avec un Sandman pas très doué ou intelligent, qui passe tout son temps à se faire remettre en place ou à se voir expliquer la vie par des strong black women... mais c'est Netflix, on commence à être habitués.
Non, ce qui est plus compliqué à adapter, en fait, c'est la forme narrative de la bande dessinée, qui pouvait alterner les récits plus longs avec des récits unitaires plus mélancoliques ou philosophiques. Une dualité quasi-anthologique qui faisait fréquemment passer le personnage-titre au second plan des récits, et qui se retrouve ici plus ou moins bien retranscrite, puisque l'adaptation assez fidèle à la structure des bandes dessinées fait que les 5 premiers épisodes sont ainsi consacrés au Sandman, à sa libération, et à sa tentative de retrouver ses possessions perdues... avant de basculer vers un hybride d'épisodes unitaires et d'adaptation du second arc du comic-book.
Et le sort réservé au Corinthien (Boyd Holbrook, dans un rôle présenté très tôt, en filigrane, comme le Big Bad de la saison, une menace, un cauchemar/tueur en série échappé du monde des rêves, vénéré par la communauté des tueurs en série... et qui finit évacué en manière honteuse en fin de saison, après avoir été notamment éclipsé tout du long par d'autres personnages, et notamment par John Dee/David Thewlis, excellent) est assez emblématique de la bataille constante que se livrent, dans cette série, les forces du récit original, de son aura mystique et onirique, de ses concepts improbables et de son décalage typiquement gaimaniens, opposées au formatage d'une adaptation télévisuelle modernisée, étriquée et parfois techniquement approximative.
En effet, si la direction artistique est intéressante et travaillée, la post-synchro de la série est assez mauvaise, l'image est immonde (pour une raison incompréhensible, toute la série est délibérément filmée avec un format d'image légèrement étiré dans le sens de la hauteur, une décision créative agaçante jamais justifiée, et dont Gaiman et compagnie ont du mal à expliquer les motifs), les effets numériques sont inégaux, les incrustations sur fond vert flagrantes et bancales...
L'écriture est, elle, très variable, avec des épisodes plutôt bons (notamment les épisodes 5 - un huis-clos dans un diner - et 6 - deux mini-récits sur le thème de la mort -, ou encore l'épisode 11), pas mal d'éléments sous-développés (qui semblent uniquement là pour faire "comme dans le comic-book") et d'autres passages qui font grincer des dents (tout ce qui concerne Johanna Constantine paraît particulièrement forcé, y compris l'interprétation de Jenna Coleman, et tout ce qui tourne autour de la convention de serial killers tombe à plat, avec de l'humour qui fait lever les yeux au ciel)...
De manière globale, une fois que la série adapte le second arc du comic book et se consacre à Rose Walker, le niveau retombe un peu, Morpheus passe largement au second plan, et la série préfère se consacrer au personnage de Rose, à son parcours, à ses proches, à sa nouvelle "famille" excentrique, etc.
Autant d'éléments qui passent nettement mieux sur papier, dans le cadre d'une série écrite par un Anglais et ne se prenant pas forcément toujours au sérieux, que sur le petit écran, qui manque totalement de la finesse, du recul, et du style nécessaires pour créer cette réalité improbable.
C'est peut-être ça, le vrai problème de cette adaptation de The Sandman : un manque de style, de vision et de personnalité. En confiant cette série a une poignée de scénaristes américains et à des réalisateurs de télévision, la série peine à imposer sa marque et ressemble trop souvent à une adaptation servile et formatée, ne cherchant jamais à transcender le matériau de base pour son passage au petit écran, si ce n'est de manière superficielle et complaisante.
Ça perd une grande partie de son charme, ça paraît un peu bordélique, et c'est peu ou prou ce à quoi je m'attendais de la part de Netflix, en fait...
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