Adaptation pour Netflix, en 8 épisodes de 30-60 minutes, du comic book de Mark Millar et Frank Quitely, Jupiter's Legacy a été confié aux bons soins de Steven S. DeKnight, un showrunner/scénariste capable du pire comme du meilleur, ayant officié sur Smallville, chez Whedon, sur Spartacus et Daredevil, et s'étant brièvement essayé au cinéma. De quoi laisser dubitatif, pour de multiples raisons...
Jupiter's Legacy, saison 1 (2021) :
En 1929, alors que la crise financière frappe de plein fouet l'Amérique, Sheldon Sampson (Josh Duhamel) reçoit une vision mystique qui les emmène, lui et un groupe de proches (Ben Daniels, Leslie Bibbs, Mike Wade, Matt Lanter...), dans une expédition jusqu'à une île mystérieuse. Là, ils reçoivent tous des super-pouvoirs incroyables et forment bientôt la première génération de super-héros, obéissant à un code strict : on ne tue pas. Mais aujourd'hui, la nouvelle génération de supers est lasse d'être confrontée à des adversaires toujours plus violents et meurtriers, et les deux enfants de Sheldon, désormais appelé l'Utopien, se rebellent contre leurs parents...
Soyons lucides : le vrai problème de Jupiter's Legacy, c'est qu'à la base, le comic book n'est pas très bon. Un peu comme Steven S. DeKnight, Mark Millar est un scénariste de bande dessinée capable du pire comme du meilleur, et depuis plusieurs années, il ne s'en cache plus : ses nouveaux projets, il les conçoit directement de manière à pouvoir les vendre à des fins d'adaptation.
Il se concentre donc sur des mini-séries courtes, facilement résumables et présentables à un public non-initié, et reposant souvent sur des postulats forts et provocants : Kickass ("les justiciers, mais dans la vraie vie"), Nemesis ("et si Batman était un super-méchant ?"), Wanted ("et si un jeune paumé découvrait qu'il était le fils caché d'un super-méchant ?"), Kingsman ("et si un jeune paumé découvrait qu'il était le neveu d'un super-espion ?"), Superior ("Shazam, mais avec le diable en lieu et place du vieux sorcier"), Huck ("et si Superman était un pompiste un peu simple mais bienveillant ?"), Chrononauts ("et si le voyage temporel avait été inventé par deux bros voulant simplement s'amuser en passant d'époque en époque ?"), Starlight ("et si Flash Gordon/Buck Rogers, maintenant à la retraite, était rappelé pour une ultime mission"), etc, etc, etc.
Des concepts simples, vendeurs, dont Jupiter's Legacy fait partie : "et si, après avoir vaincu tous les super-méchants, les super-héros se faisaient la guerre, opposant le camp des bienveillants utopiques au camp des pragmatiques réalistes voulant diriger le monde". Malheureusement, cet angle du superhéros dictateur et de la guerre civile entre supers pour des raisons idéologiques est tout sauf original. Idem pour les thématiques de l'héritage, des générations qui ont des visions différentes de leurs pouvoirs, de l'idéalisme perdu de l'âge d'or, de la déconstruction de la figure super-héroïque et de ses idéaux, etc.
Moore est déjà passé par là, notamment avec Watchmen. Invincible est passé par là. La Civil War de Marvel est passée par là (et était déjà signée Millar). The Authority est passé par là (à nouveau, Millar a écrit pour ce titre). Kingdom Come. Wanted. Star Wars.
Etc, etc, etc : Jupiter's Legacy, dans sa version papier, est particulièrement dérivatif, un gros mélange d'éléments repris à droite et à gauche, qui culmine dans des affrontements ultra-violents, et qui ne parvient jamais à justifier son existence (ça n'aide pas que le trait de Quitely soit à ce point polarisant : on adhère ou pas), autrement que comme une suite à sa préquelle (!), Jupiter's Circle, nettement plus aboutie et intéressante, puisque retraçant le parcours, au fil des décennies, du clan Sampson, au fil des transformations et des bouleversements de la société.
Restait à espérer que la série télévisée allait (au minimum) piocher dans les deux mini-séries, et pas se limiter aux dix numéros originels de Jupiter's Legacy. Pas de chance : DeKnight (et Millar) a fait un choix créatif radicalement différent, et cette première saison s'avère en réalité une double préquelle - préquelle à la fois aux événements de Jupiter's Legacy, et préquelle à ceux de Jupiter's Circle.
Employant une structure alternée passé/présent (façon Lost du pauvre), la série Jupiter's Legacy ne raconte donc rien. Pire : elle transforme les choses de manière discutable. Le comics JL établissait en quelques pages à peine le postulat du voyage vers l'île, et de ce groupe soudé autour d'un Sampson charismatique et idéaliste, dont la vision utopique pour son pays inspirait ses compagnons de voyage ; ici, ces quelques pages sont étalées sur toute la saison, délayées, occupant l'intégralité des scènes dans le passé, et Sampson devient un homme brisé par le suicide de son père, hanté par le fantôme moqueur et sanglant de celui-ci, et dont les proches passent leur temps à vouloir rebrousser chemin, ayant presque pitié d'un Sampson en pleine dépression et parlant dans le vide.
Dans le comics, Brandon, le fils d'Utopien, était (comme sa sœur) un fêtard déglingué dont un sauvetage sous l'emprise de l'alcool tournait mal ; ici, interprété par Andrew Horton, il devient un fils sage et obéissant, mais frustré par les standards imposés par son père, et qui finit par tuer un méchant pour sauver ce dernier.
Il y a aussi toute cette sous-intrigue sur le clone de Blackstar (cousue de fil blanc, tant l'écriture manque de subtilité et téléphone bien à l'avance le responsable), et plein d'autres petits changements inutiles (Raikou, sacrifiée, et qui a droit à une introduction façon "hey, refaisons l'intro de Ronin dans Avengers Endgame, mais en plus sanglant et en plus moche"), qui ont tendance à simplifier le récit, à le rendre plus manichéen et plus facilement abordable par le spectateur lambda, à grands renforts de personnages énonçant clairement les thèmes du programme et leurs positions respectives.
Une écriture particulièrement maladroite, par moments bancale (doit-on voir là la conséquence du départ de DeKnight, en cours de production, remplacé par Sang Kyu Kim, après que le showrunner ait écrit le pilote, le final, et réalisé les deux premiers épisodes ?), qui impose au programme un rythme mécanique, bourre le récit de digressions inutiles, de concessions creuses (la diversité un peu artificielle, qui semble n'être là que pour remplir un quota, et peine à trouver quelque chose à dire et à faire aux acteurs concernés) et finit par produire quelque chose de plus faible et de plus creux encore que la version papier.
Parce qu'en plus, pour ne rien arranger, le niveau global de la production est très faible, digne d'une mauvaise série CW (voire pire sur certains points) : postiches et maquillages particulièrement voyants et fauchés, costumes peu convaincants, effets spéciaux approximatifs, réalisation et photographies plates, ternes et artificielles, action générique, tout ça ne fonctionne jamais vraiment, et alors qu'une production de qualité aurait pu tirer vers le haut l'écriture assez insipide, ici, c'est le contraire qui se produit : le programme ne parvient donc jamais à remonter la tête hors de l'eau.
Ce n'est pourtant pas la faute de la distribution (Duhamel en tête - mais ça fait tout autant plaisir de voir certains visages familiers parmi les seconds rôles, comme Anna Akana ou Gracie Dzienny), qui se donne complètement à la série et remplit sa part du contrat. Mais entre les choix créatifs improbables, le rythme mollasson, l'écriture didactique, les thèmes éventés et le rendu visuel vraiment faiblard et sans style (il ne suffit pas de changer de format d'image entre le passé et le présent pour que cela donne du caractère à l'image), ce Jupiter's Legacy est un ratage.
Un ratage qui parvient à prendre les idées, les personnages et les thématiques du comic-book, pour les entraîner dans une direction encore moins intéressante que celle adoptée par l'œuvre originelle, déjà pas exceptionnelle : c'est en soi, un bel exploit, qui, plutôt que de réellement mettre en place des éléments essentiels au conflit à venir, finit par quasiment délaisser la nouvelle génération de supers, de toute façon écrits de manière particulièrement antipathique.
Le plus inquiétant, dans tout ça, étant que Millar était très impliqué dans cette adaptation, et a donné son aval au produit fini...
(cela dit, comme toutes les séries Netflix et toutes les séries de genre, cette production trouvera certainement un public, prêt à jurer aux grands dieux que c'est la meilleure série du monde et qu'elle a été totalement mécomprise...)
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