Zack Snyder's Justice League (2021) :
Les efforts de Batman (Ben Affleck) et de Wonder Wolan (Gal Gadot) pour former la Justice League avant que Steppenwolf, émissaire de Darkseid, ne parvienne à réunir les trois Mother Boxes lui ouvrant la porte de notre planète...
# LE CONTEXTE #
On connaît l'histoire de cette Snyder Cut :
- comment Snyder, endeuillé par la mort de sa fille, a quitté le tournage de son Justice League en cours de route, laissant derrière lui une Assembly Cut non terminée de plus de 5 heures, là où il s'était contractuellement engagé à réaliser un film de 120-150 minutes ;
- comment la Warner, face à cette situation, a ouvert son chéquier pour que Joss Whedon, auréolé du succès des deux premiers Avengers, s'occupe de finaliser le film, et de le rendre commercialement viable (comprendre : de le rapprocher un peu des standards Marvel) ;
- comment la version Whedon, hybride de deux styles incompatibles, a été fraîchement reçue par la critique et les spectateurs, et a déçu au box-office ;
- comment les fans les plus hardcore de Snyder (un véritable Snyder Cult, pour qui Snyder est un Dieu vivant du cinéma, la Warner le pire des démons, et Whedon un disciple de Satan) ont fait campagne pendant des années pour forcer le studio à #ReleaseTheSnyderCut, allant jusqu'à harceler, doxxer, insulter, etc, toute personne vaguement liée de près ou de loin à la Warner ou au monde des superhéros ;
- comment Snyder, gros roublard et provocateur assumé, a soigneusement entretenu cette campagne à grands renforts d'affirmations approximatives et parfois contradictoires (sur la durée de sa Cut, sur son état de finalisation, sur son contenu), de photos de tournage, et de sous-entendus ;
- et enfin comment, à la recherche de contenu à buzz à diffuser sur leur plateforme de streaming naissante, les studios Warner ont fini par céder, et par donner 70 millions de dollars à Snyder pour produire cette Snyder Cut.
Pour certains, donc, il faut voir dans cette Zack Snyder's Justice League une victoire concédée à un réalisateur arrogant, persuadé de la profondeur de son œuvre et de l'avant-gardisme de sa vision grimdark des comics (vision adolescente et immature périmée depuis les années 90), ainsi qu'au pan le plus radical et toxique de sa fanbase, équivalent de QAnon pour le cinéma de divertissement - même complexe de persécution, même tendance à voir des conspirations partout, même vénération d'une figure messianique, même recoupement avec les cercles les plus alt-right du web (MRA, Comicgate, Gamergate, 4chan, Parler, etc, dont certains membres les plus médiatiques ont même droit à des remerciements dans le générique de fin de cette version), même tendance à brandir quelques bonnes causes comme autant de boucliers leur permettant de détourner l'attention de leurs actes les plus odieux et même certitude de détenir la vérité unique sur le monde, sur les valeurs vraies de la société, etc.
Pour d'autres, la réhabilitation d'un auteur visionnaire à l’œuvre fondatrice sacrifiée sur l'autel de l'argent par un studio incompétent, manipulateur, raciste et idiot, trop préoccupé par le succès indigent des blockbusters bas-de-plafond et gamins de la concurrence pour appréhender l'intelligence et la profondeur mythologique de l'approche Snyder.
Et puis il y a ceux qui considèrent ce Justice League comme une expérience intéressante, très similaire à la Donner Cut de Superman 2, qui permet à un film clairement malade et charcuté de renaître de ses cendres, et de présenter une vision homogène de son projet artistique.
Bon, pas de surprise, ce projet artistique est un projet made in Snyder : c'est ultra-pompeux, ultra-sérieux, bourré de ralentis et d'images désaturées, c'est dark and gritty, bref, si l'on est réfractaire au style du bonhomme, ce n'est pas ce Justice League 2.0 qui va y changer grand chose.
Mais, sans véritable surprise aussi, ce JL 2.0 est nettement meilleur que la version salles.
# LE FILM #
Quatre heures de métrage, six chapitres et un épilogue, un format 4/3 étriqué (et encore, on a échappé au noir et blanc !) : cette Justice League n'est pas un film à proprement parler. C'est un concept, un projet artistique, un fourre-tout décadent impossible à sortir en salles, bourrés de moments superflus (durant les premières parties, surtout), dans lequel Snyder a mis tout ce qui lui faisait plaisir, et tout ce que les fans lui ont demandé au fil des ans. Ça tombe bien : depuis Batman vs Superman, les fans de Snyder ont pour mot d'ordre « plus il y en a, mieux c'est », et Zackounet ne fait que répondre à leur demande.
Cela dit, on comprend sans peine que la Warner ait paniqué en découvrant les cinq heures de la copie de travail de Snyder.
Tout comme on comprend aussi la colère de Ray Fisher en voyant le plus gros de l'intrigue de Cyborg, son personnage, être condensée au maximum par Whedon, alors qu'elle est développée en long, en large et en travers chez Snyder (malheureusement, elle n'y dépasse pas vraiment le stade du double cliché "jeune Afroaméricain en colère" souffrant d'un "père absent", et Fisher ne fait pas vraiment preuve d'un grand charisme au travers de ce personnage numérique et perpétuellement mécontent).
Par contre, on comprendra un peu moins toutes ces critiques ébaubies qui voient ici un métrage radicalement différent de la version Whedon. Les grandes lignes et le déroulement de la version 1.0 sont les mêmes, les rebondissements aussi, la caractérisation idem, et, au pire, la version Whedon apparaît comme une version abridged de celle de Snyder, qui a toujours quelques problèmes de logique interne et d'éléments inexplicables.
En rajoutant énormément de tissu connectif, la Snyder Cut rend son récit nettement plus cohérent et fluide, ce qui n'est pas forcément surprenant pour qui avait vu la version longue de Batman vs Superman : avec sa demi-heure supplémentaire, celle-ci développait plus ses personnages et son récit, rendant ce dernier plus logique et homogène. Ici, notamment, des scènes comme la prise des Boîtes par Steppenwolf se trouvent étoffées, et fonctionnent nettement mieux.
Mais comme la VL de BvS, la Snyder Cut souffre aussi des choix créatifs de ses auteurs : les événements de la JL 2.0 découlent toujours des idées stupides de BvS, sans jamais vraiment les corriger (même par rapport à la Whedon Cut). Batman reste un Ben Affleck engoncé dans une tenue pataude en mousse, à la traîne derrière ses collègues ; Superman reste une figure messianique qui prend des poses chrétiennes et arrive juste à temps pour démolir sans efforts le big bad ; le film doit toujours intégrer tous les membres secondaires de la League à son récit sans qu'ils aient eu droit à des origin stories ; Flash continue d'être un nerd asocial aux traits d'humour bancals ; et, Snyder oblige, Wonder Woman reste ultra-violente, explosant des mercenaires contre les murs dans des gerbes de sang avant de se tourner vers une fillette terrorisée et de lui asséner en souriant un message girl power se voulant rassurant.
Il faut être très clair : à la vision de cette version longue, n'importe quel spectateur un peu objectif et ayant des notions de rythme et de montage repère immédiatement pléthore de scènes à couper ou à raccourcir. Que ce soit du côté d'Aquaman (les chanteuses qui reniflent son pull, son plongeon au ralenti façon pub de parfum), de Themyscira (la flèche et son rituel, certains dialogues redondants), de Cyborg (qui a deux flashbacks différents pour raconter ses deux traumas - son accident, et l'absence de son père à son match de foot), de Lois (qui passe tout le film à déprimer), de Steppenwolf (qui a plusieurs appels en visio avec DeSaad, histoire d'insister sur le fait que Steppenwolf est bien un sbire incapable se trouvant en bas de l'échelle hiérarchique des maychants, comme si le fait qu'il batte en retraite à chaque confrontation contre la League ne rendait déjà pas tout cela évident), de Flash (le sauvetage d'Iris et de la saucisse), de Silas Stone (énormément de scènes à Starlabs, qui n'apportent pas grand chose au récit), du Martian Manhunter (deux scènes totalement inutiles), etc.
C'est bien simple, en combinant tous ces moments (typiques d'un director's cut où le réalisateur a carte blanche et ne se préoccupe pas du rythme et de la durée du film) aux innombrables ralentis snyderiens qui occupent le plus clair de la première moitié du film, ainsi qu'aux visions baptisées Knightmare sans intérêt intrinsèque (si ce n'est ouvrir la porte à une nouvelle campagne en ligne du Cult, toujours plus toxique), il est probablement possible d'exciser entre 30 et 45 minutes de cette Justice League 2, si ce n'est une bonne heure en redynamisant un peu de nombreuses scènes qui trainent en longueur.
Soit un métrage final qui ferait dans les trois heures : nettement plus acceptable, d'un point de vue narratif, et mieux rythmé. Alors certes, cela resterait une version visuellement étriquée par le 4/3, et dont l'approche ultra-sombre et violente, interdite aux moins de 17 ans, rendrait une exploitation salle impossible (prendre des personnages superhéroïques emblématiques, et se débrouiller pour en faire un film que les enfants ne peuvent pas voir, c'est la méthode Snyder), mais l'unité thématique et conceptuelle du tout aurait probablement plus convaincu que le côté patchwork déglingué de la version salles.
Et contrairement à la VL de BvS, qui perdait en rythme et en énergie ce qu'elle gagnait en cohésion et en logique, cette VL de Justice League reste globalement meilleure que la version cinéma. Mais Snyder a clairement eu un avantage de taille, ici : il a pu s'appuyer sur toutes les critiques adressées à la version Whedon, et sur tous les désidératas des fans, pour tenter de bricoler une version bâtarde combinant son Assembly Cut, la version salles et une hypothétique version rêvée, le tout pour relancer la machine et amener son Cult à poursuivre sa campagne et à #RestoreTheSnyderVerse.
Mouais. Tout ça pour en arriver là, en somme. Zack Snyder's Justice League est un bien meilleur film que la version Whedon, c'est indubitable (pas difficile, cela dit), mais reste un métrage malade, toujours tiraillé entre diverses intentions commerciales, prétentions artistiques et exigences de fans totalement incompatibles. C'est mieux que rien (ou que la 1..0), mais ce n'est commercialement pas viable (le film est impossible à sortir en salles en l'état), et ça demande que l'on adhère à l'approche très polarisante de Snyder, à ses choix "artistiques" et musicaux et à sa vision des superhéros DC... ce qui est loin d'être le cas de tout le monde.
3.5/6
(grosse déception que le Darkseid de Snyder, un Darkseid qui bat en retraite après avoir pris un coup de hache, et au design trop élancé)
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Et comme toujours, vous pouvez retrouver la liste complète de tous les films passés en revue sur ce blog dans le menu Index de haut de page, ou en cliquant directement sur ce lien (000-1000) et sur celui-ci (1001-2000)...
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