Sygbab regarde (beaucoup) la tv, Sygbab écrit (parfois) des bilans : retrouvez-les sur le blog des Téléphages Anonymes !
L'Homme de Nulle Part (The Nowhere Man) :
The truth is out there.
Trust no one.
Si ces deux slogans sont fortement attachés à l'en-tête des épisodes de X-Files, ils auraient tout aussi bien pu être pleinement intégrés à un show qui surfe d'ailleurs sur la vague du succès rencontré par le monument télévisuel pré-cité. En effet, le concept du grand complot et la paranoïa qui y est liée sont des fondements majeurs de cette série créée en 1995 (soit un an après celle de Chris Carter). La grande différence provient du fait qu'au lieu de la délayer avec des loners baignant dans le fantastique, chaque épisode participe ici à la construction de l'intrigue générale, toujours plus complexe.
Dans un exercice aussi casse-gueule que de développer le thème de la conspiration, il faut féliciter les scénaristes pour avoir su conserver l'intérêt de chaque instant en évitant l'écueil de la prévisibilité, grâce à une perpétuelle remise en question de faits qui nous semblent acquis. L'évolution psychologique du personnage principal est à ce titre utilisée de manière remarquable pour brouiller les pistes et perturber le téléspectateur, qui s'identifie forcément à Tom Veil. Dès le pilote, le voir ainsi dépouillé des éléments qui représentent l'essence même de son existence à cause d'une simple photographie, et ce par une organisation à priori malsaine, ne peut que faire adhérer à sa quête de la vérité et à la lutte qu'il engage pour retrouver sa vie telle qu'elle était.
S'instaure alors un climat oppressant baigné d'une paranoïa aiguë, dans lequel Tom ne peut plus faire confiance à personne (ou alors, à ses risques et périls), d'autant que chaque moment de sa vie ou chaque personne qu'il a pu rencontrer par le passé semblent n'avoir jamais existé. Les événements pourraient commencer à devenir prévisibles à force de répétition d'un même schéma, mais la bascule s'opère lorsque est évoquée la possibilité que Tom aurait pu inventer les souvenirs auxquels il se raccroche tant.
Le doute ne s'installe pas que dans l'esprit du protagoniste mais également dans celui du public. Si ce n'était pas suffisant, l'idée d'une technologie pouvant aider à contrôler l'esprit des gens est introduite. Cela bouleverse à nouveau la tendance : et si celui que l'on voit évoluer depuis le début n'était en fait qu'un pantin dont les souvenirs ont été fabriqués de toutes pièces ? Le final semble aller en ce sens, mais peut-être n'était-ce qu'une nouvelle voie sans issue...
Ce jeu permanent influe bien évidemment sur la vision générale du personnage, qui passe du statut de héros prêt à tout pour défendre la vérité à celui de martyr victime d'une machination dont les ramifications dépassent l'entendement, et contre laquelle il ne peut rien faire. Son cheminement est une longue route vers l'enfer : après avoir été privé de sa famille, de ses amis, il est amené à douter de sa propre santé mentale, de ses souvenirs. Petit à petit, il est vidé de toute substance, mais il réussit à tenir encore et encore en se rattachant à l'importance des négatifs qu'il possède, sans pour autant en comprendre l'importance la plupart du temps.
C'est finalement sa quête qui lui donne la force d'avancer, un objectif en lequel il est bien obligé de croire. L'introduction de chaque épisode est représentative de cet état d'esprit : "I keep this journal to prove these events are real. I know they are. They... have to be."
Sa volonté de poursuivre ce but y est clairement affichée, mais ses doutes également, et cela démontre l'habileté des scénaristes : il est assez osé de nous dévoiler la trame principale de cette manière. La voix-off permet également, après le générique, de faire le point sur les états-d'âme d'un personnage qui se désociabilise de plus en plus, et pour nous informer sur ce qu'il compte faire afin de poser le contexte.
Ce procédé est essentiel dans la mesure où la série repose sur un seul et unique protagoniste dont la crédibilité est assurée par un Bruce Greenwood à la performance remarquable de bout en bout : il fait pleinement ressentir la perte de repères de son personnage ainsi que sa longue descente aux enfers. Mais il n'est pas le seul à exceller car de nombreux autres personnages - forcément éphémères - sont portés par des acteurs généralement impeccables.
Ces rencontres se font au gré des pérégrinations de Tom, ce dernier étant constamment en fuite. De fait, outre un manque de repères évident puisqu'il évolue toujours dans un environnement différent, cela l'oblige à naviguer entre les petits boulots afin de subvenir à ses besoins. Les scénaristes en tirent parti au mieux en n'hésitant pas à proposer des épisodes un peu différents, notamment en effectuant quelques incursions dans le monde du fantastique ou de la science-fiction.
Entre la rencontre avec un gamin doté de pouvoirs divinatoires, celle avec un adolescent génie de l'informatique et adepte de la réalité virtuelle, ou encore une histoire d'OVNI un peu alambiquée, les idées ne manquent pas. La présence de tels éléments peut étonner dans un premier temps, mais au vu des révélations finales il s'avère que c'est une manière supplémentaire de nous prévenir que la série n'est pas ce qu'elle semble être.
Malgré un acteur charismatique, une histoire solide et une ambiance étouffante, la série n'a malheureusement jamais trouvé son public et s'est trouvée stoppée dans son élan. Elle avait pourtant réussi à se démarquer admirablement de X-Files, prouvant une fois de plus que le traitement, ici sérieux et rigoureux, est plus important que le thème.
Encore l'une de ces trop nombreuses séries sacrifiées sur l'autel de l'audience, alors qu'elle avait un potentiel incroyable. Il n'en reste pas moins qu'elle marque les esprits, même si cette fin de saison prometteuse provoque une immense frustration de ne jamais pouvoir regarder une suite qui n'existe pas.
Un peu à l'image de son personnage principal...
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